2018-01

Voyage auprès des oubliés de la Terre

Bernadette Verpaele

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Témoignage 2018-01

Voyage auprès des oubliés de la Terre - Bernadette Verpaele

Tout a commencé il y a deux ans, quand mon collègue de travail Kasereka Muliraheru, originaire de la RDC, qui connaît mon intérêt pour l’Afrique et ma fidélité à un projet au Sénégal, me demande de soutenir une petite ONG congolaise (ACPDI, Action des Communautés Paysannes pour le Développement Intégré). Celle-ci a été créée par son neveu il y a une quinzaine d’années. Je connais les difficultés des ONG locales. Une ONG congolaise, ce n’est pas crédible devant des bailleurs de fonds occidentaux. C’est là un héritage de la colonisation ! Je suis d’accord, mais j’aimerais aller voir sur place. L’insécurité est trop grande, me dit-il, il faudra attendre un peu. Au mois d’août, c’est bon, la région est assez sûre pour qu’on puisse y aller. Et nous sommes partis...


Lundi 22 octobre 2018 : sur la route de Lubero, vers Kipese, Nord Kivu (RDC)

                                                                  Dans un moment de prise de conscience (de lucidité ?), au moment où nous entrons dans la                                                                          forêt équatoriale qui longe le parc de Virunga, je réalise que je suis dans une de ces régions où                                                                        personne n’aurait l’idée d’aller : la Syrie, l’Afghanistan et... le Nord Kivu. Là où règnent la guerre et                                                                    ces terribles fièvres hémorragiques, appelées Ebola. D’ailleurs, en deux semaines, je ne croiserai                                                                      aucun Blanc.

                                                                  Qu’est-ce qui m’a amenée à faire ces longues heures en avion, et ces 4 heures de pistes infâmes                                                                    (et encore, il y a pire, je le découvrirai au retour, avec la pluie) pour rencontrer ces familles ?                                                                              Malgré la pluie, le soleil et le vent, ces centaines de paysans viendront à notre rencontre avec                                                                          comme cadeaux de bienvenue des poules, des lapins, des œufs – cadeaux que je me sens coupable d’accepter devant des enfants qui souffrent de malnutrition à force de manger des pommes de terre et des ignames. Mais « une maison qui accueille des visiteurs est une maison bénie », nous disent-ils. J’ai un frisson quand je pense à l’accueil réservé aux étrangers du parc Maximilien à Bruxelles...

Kipese, gros bourg perché à 2800 mètres d’altitude. Ce jour-là est balayé par la pluie et un vent glacial, le grenier du Congo, pillé. De juillet 2017 à mars 2018, les paysans ont quitté leurs terres pendant que des bandes armées dévastaient le pays. Lorsqu’ils reviennent, les petits cheptels constitués avec l’aide de l’ONG ZOAC ont disparu. Toute une série de projets de développement se voient mis en péril ou anéantis. Les partenaires (ONG, coopération internationale) ont quitté le terrain et sont frileux de réinvestir dans des régions instables.

La coopération, ça marche comme ça : les humanitaires de crise (comme Médecins Sans Frontières) viennent pour soigner Ébola. Puis, quand tout va mieux, ils s’en vont. Les ONG qui font du développement, de l’éducation, de la santé arrivent alors. Elles adorent fonctionner par projets pour rendre les gens autonomes. C’est bien mais dans un pays où les organisations non gouvernementales remplacent l’Etat, c’est compliqué.

Imaginez votre médecin vous disant demain : « dans 2 ans, je pars, vous devrez être autonome... »

Entre les deux vagues, les gens restent. « Nous sommes là » disent-ils avec dignité. Des gens debout et ancrés. D’où l’intérêt des ONG locales, car elles aussi sont là.


Samedi, 27 octobre : Université Libre des Pays des Grands Lacs (ULPGL) de Butembo

                                              Nous sommes invités, Kasereka et moi, à donner une conférence aux jeunes de l’ULPG sur « la dégradation                                                des écosystèmes et la santé ». Nous parlons de la fin de notre civilisation thermo-industrielle devant une                                                     petite centaine de jeunes étudiants, bien conscients qu’ils vont payer cher et vilain la note de la facture                                                       d’une société dont ils n’auront jamais profité et dont les perturbations du climat ne sont qu’un des signes.                                                 L’autre, la guerre pour les minerais rares, ils la suivent aux premières loges....

                                               Je réalise que, sur le terrain, la transition est déjà en route chez eux ; parce qu’ils vivent avec sobriété. Les                                                     pesticides étant trop chers, ces jeunes agronomes (dont Samuel qui travaille pour l’ONG) font des                                                                 recherches dans la lutte biologique par les plantes.

                                               Et s’ils avaient beaucoup à nous apprendre ?


Dimanche 28 octobre : célébration à Butembo

Jérémie, le jeune comptable de l’ACPDI et sa femme nous emmènent au culte protestant du dimanche : 3 heures de célébration, 2 heures de chants religieux et pas loin de 1000 personnes. Je suis la seule blanche de l’assemblée. Je me sens bien, en paix. Est-ce là la raison de leur assiduité ?


Mardi 30 octobre : changement du programme

Nous n’irons pas à Béni, ni à Kasindi. La route est trop incertaine, des bandes armées y traînent, l’épidémie d’Ébola est en expansion, le vaccin peu efficace. La contamination ne se ferait plus seulement pas contact direct.

Une réflexion sur le rôle de la Belgique et des Occidentaux, à présent.

Béni est la région du cobalt, du coltan et de l’uranium. Des bandes armées ougandaises et rwandaises, protégées par l’armée régulière, sèment la terreur et cherchent à faire fuir la population paysanne. Kabila, d’origine rwandaise, protège ses intérêts et ceux des puissances occidentales : des mineurs font transiter les minerais par le Rwanda. Pratique ! Ainsi, les acheteurs ont les mains propres. 85 entreprises sont accusées de jouer dans ce trafic. Plus d’une vingtaine sont belges (Cogecom, Umicore, Forrest...) mais tous les grands pays y sont aussi (UK, EU, Afrique du Sud, Russie...)2.

Au milieu de tout ce trafic, des paysans, des femmes, privés de leurs terres, des enfants qui vivent dans la violence et l’insécurité afin de nous permettre de jouir de nos téléphones, nos avions, nos centrales nucléaires. En somme, nous

voulons bien les minerais mais pas les Congolais. Est-ce bien cela la fin de la colonisation ?













Les jours continuent à s’écouler. De Kipese à Kitsombiro et de Vusamba à Munoli, nous rencontrons des jeunes en formation professionnelle, délinquants, filles-mères orphelines, parfois agressées sexuellement... Elles nous montrent leur travail avec des rires et beaucoup de timidité. Je ne peux m’empêcher, au milieu de tous ces bébés, d’en prendre un dans les bras. On me chuchote à la sortie que la petite Gloria est bénie désormais... Je ne sais pas comment je dois le prendre mais je suis très remuée par toutes ces rencontres.

Les filles réclament des machines pour broder, les garçons nous demandent des outils et machines en menuiserie. Ils se lancent dans le commerce une fois leur formation terminée mais restent attachés aux ateliers qui les ont formés. On devrait trouver cela, non ?

Je vais bientôt repartir vers notre monde qui craint de s’effondrer – ce climat tourneboulé, ces gilets jaunes qui cherchent, ces Occidentaux affolés pour leurs lendemains...

Je dois encore visiter l’hôpital psychiatrique CEPIMA. Les malades dansent et chantent pour nous accueillir... Je suis pleine de leurs rêves, de leurs espoirs, de leur lassitude et de leurs espérances, de leur confiance dans ce Dieu qui, dans leur cœur, continue de rester à leurs côtés. Là où les hommes les ont oubliés.


Soutenir les projets, relire les dossiers, envoyer de la documentation, le chantier est ouvert. Vous souhaitez nous aider, nous rejoindre peut-être ? Merci ! 

Témoignage 2018-01

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